- ART SACRÉ
- ART SACRÉART SACRÉLa notion d’un art sacré contemporain dans l’Église de France pose un certain nombre de problèmes: celui d’abord de l’authenticité de l’inspiration. L’artiste doit-il être croyant? Fra Angelico, qui selon la légende peignait à genoux, est-il le modèle de l’artiste religieux? Ensuite le problème du contenu iconographique. Ce dernier est fixé dans la mesure où l’œuvre illustre une révélation, une histoire sainte. Peut-on s’écarter de la tradition, surtout si celle-ci est mal perçue ou inadéquate à l’évolution des mentalités et des mœurs? Enfin, l’art sacré dont la fidélité à des modèles vénérables et admis est essentielle, peut-il innover techniquement, s’insérer naturellement dans les différentes recherches qui forment le mouvement des arts? Depuis qu’il y a art religieux, il y a tension entre le souci de mise à jour et la fidélité aux habitudes, entre l’insertion dans les normes stylistiques et iconographiques et la volonté d’expression individuelle et originale. L’époque contemporaine illustre comme les autres cette situation fondamentale.Après la Seconde Guerre mondiale, les pères Couturier et Régamey, dominicains, fondateurs avec Joseph Pichard de la revue L’Art sacré , eurent surtout le souci de faire appel aux meilleurs artistes contemporains, catholiques ou non; ils pensaient que la qualité et l’exigence de leur inspiration permettraient sûrement d’obtenir ce sacré, par opposition au religieux, dont l’œuvre d’art peut être le truchement. Ce fut notamment l’expérience d’Assy (Haute-Savoie), église construite en 1938 par Novarina et consacrée en 1950, où l’on fit appel à Bonnard, Rouault, Matisse, Germaine Richier, Lipchitz, Lurçat. Le résultat était quelque peu hétéroclite, ce qui fut évité à Audincourt (Doubs) où Léger composa pour l’église du Sacré-Cœur due à Maurice Novarina des vitraux sur le thème des instruments de la passion du Christ et Bazaine une mosaïque pour la façade, «un appel, joyeux et fort comme la rivière en été» (1951). Cette même année fut inaugurée la chapelle du Rosaire à Vence (Alpes-Maritimes), à laquelle Matisse se consacrait depuis 1948. «J’ai commencé par le profane et voici qu’au soir de ma vie, tout naturellement, je termine par le divin.» Par son dépouillement, la qualité allusive du trait, la chapelle de Vence est certainement une des œuvres les plus inspirées du siècle. On citera aussi la chapelle Notre-Dame-du-Haut construite à Ronchamp (Haute-Saône) par Le Corbusier. Avec un moindre succès, Cocteau à Milly, Foujita à Reims, et Chagall conçurent eux aussi «leur» chapelle. La preuve était faite que des artistes, qu’ils appartiennent, comme Chagall, à des confessions différentes, qu’ils servent, comme Léger, des idéologies contraires, pouvaient parler à des fidèles catholiques par la seule vertu de leur inspiration. Le sacré apparaît comme le lien commun et la justification des arts qui se prétendent religieux.En outre, il faut noter l’importance que l’art abstrait, plus exactement le mouvement dit de l’abstraction lyrique, tient dans cet effort de recherche artistique, au point qu’il peut sembler y avoir comme un accord profond entre l’abstrait et le sacré. Pour Manessier, converti en 1943 après un séjour à la Trappe de Soligny, l’abstraction était le meilleur moyen d’«exprimer la prière intérieure de l’homme, d’atteindre aux arts sacrés», puisque ses sujets relèvent avant tout d’«une impression religieuse et cosmique de l’homme devant le monde». Les vitraux de Bazaine pour Saint-Séverin, les Sacrements (1964-1969), veulent «susciter un certain climat spirituel» par le seul jeu des lignes et des couleurs, où s’exprime une méditation sur l’ordre même du monde. Léon Zack appartient à ces artistes pour lesquels l’abstraction est d’abord l’expression d’un «geste intérieur», effusion, suggestion de l’ineffable, c’est-à-dire de la spiritualité. Cette évidente complicité entre l’abstraction lyrique des années 1950-1960 et l’art sacré sinon religieux n’a pas empêché d’autres recherches; Gleizes avait montré, dans les années 1930, combien l’écriture cubiste était apte à traduire les plus grandes ambitions spirituelles. Après la Seconde Guerre mondiale, le réalisme tragique d’un Gruber ou même de Bernard Buffet pouvait s’inspirer d’émotions religieuses, comme ce fut le cas pour Desvallières pendant la Première Guerre mondiale. En fait, ces tendances ne s’imposèrent pas, même si elles pouvaient aider à former un nouvel art religieux qui aurait répondu au désir de figuration. Il allait revenir à l’atelier du Cœur-Meurtry, à la Pierre-qui-Vire, sous la direction de dom Angelico Surchamp, de proposer une synthèse néo-sulpicienne (au meilleur sens du terme) entre abstraction et cubisme. Les années qui suivirent le concile de Vatican II (1962-1965) ne remplirent pas tous les espoirs que celui-ci avait suscités. Par refus du triomphalisme, un parti de pauvreté frisant l’iconoclasme fut suivi: suppression des mobiliers du XIXe siècle, abstention de toute création. Ce sont les années noires de l’art religieux. Après 1980, on assiste au contraire à un véritable renouveau: commande d’églises, comme la cathédrale d’Évry à l’architecte Mario Botta ou l’église Notre-Dame de la Pentecôte sur le parvis de la Défense (projet de Frank Hammoutène, couronné en 1994), de vitraux comme ceux de la cathédrale de Nevers (C. Viallat, F. Rovan, J.-M. Alberola, M. Lüpertz et G. Honegger) et ceux de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques (P. Soulages). Le clergé et l’État s’associent dans la volonté de réintroduire les artistes dans les églises. Art sacré et art religieux cherchent une conciliation.
Encyclopédie Universelle. 2012.